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Les mots de Maître Parkane
19 juin 2008

Tournoi de tête

Il y a des gens qui prétendent que le foot n'a aucun intérêt, que vingt-deux types qui courent après un ballon, c'est complètement idiot, juste un spectacle inventé pour abrutir les autres gens. Bon, d'abord, il n'y a que vingt qui courent, parce que les gardiens de but ne courent pas, ce qui prouve que ces gens, les premiers, n'y connaissent rien à la base. Mais n'oublions pas l'arbitre et les juges de touches qui courent aussi, donc ça fait vingt-trois types qui courent.

En fait, si le foot malgré ces calculs compliqués déclenche autant d'enthousiasme, ce n'est pas fondamentalement lié aux effets collatéraux comme les réflexes de groupe ou de nationalismes exacerbés, non, cela tient beaucoup plus à la haute valeur symbolique de ce qu'il donne à voir, bien mieux, de ce qu'il donne à vivre.

Avant tout, il pose un cadre formé de plusieurs éléments : le stade, le terrain, le règlement, le déroulement. Ce cadre devient symbole de l'univers dans son ensemble avec ses contingences matérielles, ses exigences sociales, ses lois, sa nature.

Le spectateur, en franchissant l'enceinte du stade, ou plus prosaïquement en allumant le poste de télévision, naît à une nouvelle vie où tout devient possible à chaque fois, et chaque nouvelle fois devient une renaissance, une réincarnation qui aurait eu le droit de garder les souvenirs de la vie précédente.

L'attente, l'entrée des joueurs, les hymnes, forment un rituel qui vise à retarder le début du match, afin de laisser à tous le temps d'observer les joueurs encore immobiles, de s'identifier à ses héros, de se rendre disponible à l'émotion.

Le premier choix qui s'impose, celui de l'équipe qui donnera le coup d'envoi, est confié au hasard. Le geste du pile ou face est exécuté par l'arbitre, personnage qui représente en même temps le règlement incontournable et la faillibilité divine autant qu'humaine. Tous, joueurs comme spectateurs, savent que les décisions de l'arbitre ne pourront être totalement justes. A l'aide de la pièce de monnaie, il s'en lave les mains, - et donne ainsi à chacun la légitimité de son propre jugement.

Quel est le contexte du jeu proprement dit ? Il y a là deux fois onze hommes, jeunes, beaux et riches comme des dieux qui vont essayer pendant quatre-vingt-dix minutes d'attraper, de garder, de récupérer et d'envoyer dans les buts adverses un ballon rond et rebondissant, et tout ça, sans les mains, mais dans un effort collectif indispensable, et sans en venir aux mains avec leurs adversaires. Le ballon prend la place de la planète Terre, et par extension de l'univers en proie au conflit cosmique entre les forces A et B, car il va de soi qu'il ne peut être question de situer le Bien ou le Mal d'un côté ou de l'autre.

Le spectateur est alors devenu le pseudo-acteur d'une mise en abyme, regardant ce qui arrive à un monde dont il fait partie, qu'il regarde et qui, avant tout, le regarde. "Pseudo-acteur" car le seul moyen que la mise en scène lui laisse c'est de donner de la voix, comme il donne sa voix en votant pour tel homme ou telle femme politique pour décider des résultats des matchs électoraux. Mais dans ce lieu, on serait tenté d'ajouter "aussi", les hommes politiques sont dans les tribunes, même si ce sont des tribunes d'honneur. Ils n'ont pas plus de pouvoir sur l'issue de la confrontation que le spectateur ordinaire.

En réalité, et sérieusement, pourquoi le but du jeu est-il d'expédier le ballon-monde dans le filet adverse ? Tout simplement pour montrer que l'on n'en veut pas, qu'on est assez fort pour imposer à l'autre équipe la gestion de l'univers afin d'en tirer seulement le bénéfice, symbolisé par la coupe offerte à l'équipe qui a réussi plus souvent que l'autre à se débarrasser du ballon.

L'équipe qui perd est condamnée à se mettre au travail.

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