Extérieur, petit jour
Arrivée au péage d'autoroute un matin de départ de vacances, la voiture remplie de toute la famille, ma femme qui somnole à ma droite, les enfants à l'arrière qui s'électronisent les yeux, les pouces ou les oreilles. Devant les douze guichets ouverts, il faut choisir vite fait. Télé-péage ? Non. Est-ce que j'ai de la fraîche dans mon porte-monnaie ? Non. Où sont les voies à carte de crédit ? Ok, il y en a plusieurs au milieu. J'en choisis une au hasard ? Non. Pas tout à fait. Je choisis celle où il y a le moins de voitures. Mais juste quand je veux me déporter sur la gauche pour rattraper celle-ci, il y a un enfoiré de première qui me double à toute vitesse pour me piquer ma place. Je reste calme et dans la file dont la fin de queue se profile devant moi. Voilà, ça s'est fait. Ca peut paraître peu, mais à six heures et demie du mat, les petites choses prennent parfois des proportions inattendues. Commence alors l'attente, les files avancent plus ou moins vite. On avance, on s'arrête, on attend, on avance, on s'arrête. L'enfoiré de première de tout à l'heure est maintenant deux ou trois bagnoles derrière. C'est bien fait. Mais en même temps, c'est quand même grâce à lui que je suis resté dans cette file-là. Oui, mais il n'a aucun mérite, ce con. Plus que trois voitures devant la nôtre. Ma femme me demande "On est où ?" et se rendort sans attendre de réponse. Qu'est-ce qui se passe devant ? Juste devant nous, la main qui est tendu vers l'automate de paiement a dû laisser tomber la carte, je vois la portière s'ouvrir, mais, coincée contre la machine, elle n'a pas suffisamment de jeu pour laisser sortir le conducteur. Je le vois tâtonner désespérément sous la voiture. Rien à faire, il va être obligé de faire marche arrière. Je suis vraiment verni. L'enfoiré de première vient de passer à la caisse d'à côté. Je le vois quasiment ricaner derrière les vitres fumées de sa grosse bagnole de pollueur de merde. Avant que la dizaine de gus de derrière aura compris qu'il faut reculer, comme chacun n'a qu'un maximum de vingt centimètres de battement, collés comme ils sont les uns aux autres, ses débiles, l'autre enfoiré de première sera déjà à Orléans. Petit à petit, on y arrive. En plus, il est gros ce type, même franchement obèse, voilà pourquoi il avait même pas essayé de sortir de sa voiture. Tant mieux, s'il était resté bloqué entre la portière et la voiture, il aurait fallu en plus attendre que les pompiers arrivent avec leurs disqueuses pour le libérer en découpant son tas de ferraille qui commence à me faire chier sérieusement. Bon, il a récupéré sa carte, avance à nouveau, je le suis de près. Je le vois mettre sa carte dans le lecteur, je garde le pied sur l'embrayage, ma carte bleue dans la main gauche, la main droite sur le levier de vitesse. C'est inutile, je sais, la première étant déjà enclenchée. Ma vitre est ouverte sur l'air bleuté d'un petit jour saturé de gaz d'échappement.
Puis j'observe, sans vouloir y croire, la main boudinée de ce type de malheur s'agiter bizarrement et appuyer furieusement sur tous les boutons de la machine. Il y a une boule incandescente qui commence à se former autour de mon estomac, quand j'entends derrière moi, comme sortant d'un tableau de Dali, la voix de ma petite dernière : "Pourquoi t'as pas pris une autre file, Papa ?"